Lisa Batiashvili, François Leleux, Sebastian Klinger, Guy Ben Ziony, Milana Chernyavska
Wolfgang Amadeus Mozart, Quatuor pour hautbois, violon, alto et violoncelle en fa majeur K. 370
Sergei Prokofiev, Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur opus 80
Entracte
Benjamin Britten, Phantasy quartett pour hautbois et cordes opus 2
Wolfgang Amadeus Mozart, Sonate pour violon et piano n°42 en la majeur K. 526
Notes de programme :
W.A. Mozart
Quatuor pour hautbois, violon, alto et violoncelle en fa majeur, K. 370.
Composé et créé en 1781 à Munich, dédié au hautboïste Friedrich Ramm
3 mouvements :
Environ 14 minutes
1781, Mozart a vingt-cinq ans. Le prince-archevêque Colloredo lui accorde enfin un bref congé pour se rendre à Munich, afin d’assister aux répétitions de son opéra . Il était temps qu’une bonne nouvelle illumine un peu la vie du jeune compositeur : il ne s’est pas remis d’un tour d’Europe catastrophique, entrepris dans l’espoir de se faire une situation, après une première démission que le prince-archevêque ne lui pardonnera jamais. Non seulement il n’a pas rencontré le succès espéré, mais sa mère est morte pendant la tournée, et la femme dont il était amoureux, Alyosia Weber, en aime un autre. Comble d’humiliation, son père Léopold doit supplier le prince-archevêque de reprendre le jeune Amadeus à son service. Le grand seigneur ne lui épargnera aucune humiliation.
En janvier 1781 heureusement, Mozart se rend à Munich pour les répétitions d’, pendant lesquelles il compose le Quatuor au programme de ce soir : le premier hautboïste de l’orchestre de Munich, Friedrich Ramm, est un des plus grands virtuoses de son temps. Mozart, frappé par la somptuosité de sa sonorité, lui dédie son nouveau quatuor.
Ce Quatuor, assez court, est d’une grande concision. Il est encore de forme concertante : le hautbois est traité comme un instrument soliste face au trio à cordes. Pourtant Mozart se rapproche déjà de la « discussion » entre les 4 musiciens, faisant se répondre leurs différents timbres, et qui caractérisera, selon le mot de Haydn, la forme classique du quatuor à cordes.
Cette pièce, où l’on retrouve le don inné de Mozart pour la mélodie, est caractérisée avant tout par le style classique, dont le compositeur restera le meilleur représentant, grâce à son écriture toute de clarté, d’équilibre et d’harmonie. Mozart réussit à concilier deux esthétiques qui pourraient sembler antinomiques : le style galant, qui l’a bercé depuis sa plus tendre enfance,
et le style « savant » du contrepoint avec lequel il s’est familiarisé en transcrivant un grand nombre de fugues de Bach.
Dans cette pièce, Mozart fait preuve d’une grande maturité et d’une profondeur qui culmine dans l’Adagio sublime en ré mineur. Le Rondo final est caractérisé par un jeu savant sur des rythmes différents entre le hautbois (cantilène à 4/4) et les cordes dont la mesure est à 6/8.
remporte un vif succès à Munich et le Quatuor pour hautbois est créé par Friedrich Ramm. A son retour de Munich, offensé une nouvelle fois par le prince-archevêque, puis définitivement congédié, Mozart s’installe à Vienne où il arrive le 16 mars 1781, pension Weber, dans l’espoir de vivre de sa musique. En ce sens, il sera le premier compositeur indépendant : l’année 1781 marque décidément un très grand tournant dans la vie de Mozart.
XXX
S. Prokofiev
Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur opus 80
Composée entre 1938 et 1946
4 mouvements :
Environ 30 minutes
Dédiée au violoniste David Oistrakh et créée par lui le 23 octobre 1946 avec Lev Oborine, au Conservatoire de Moscou.
David Oistrakh en interprèta deux mouvements en hommage à Prokofiev, lors de son enterrement en 1953, le plus discrètement possible : en effet, Prokofiev étant mort environ deux heures avant Staline, il n’était pas question de faire de l’ombre à la nouvelle du décès du « petit père du peuple » en annonçant un autre deuil important. Les autorités ont donc exigé des proches du compositeur de cacher la mort de Prokofiev et l’enterrement a eu lieu dans la discrétion la plus stricte.
Prokofiev a 47 ans lorsqu’il note les premières esquisses de cette sonate, à l’occasion d’un voyage aux Etats-Unis : nous sommes en 1938, Prokofiev, qui avait fui la Russie de la Révolution d’octobre, est retourné s’installer définitivement en URSS, après de longues hésitations et de multiples invitations de la part du régime communiste.
La sonate ne verra le jour qu’en 1946, soit huit ans plus tard. La période d’élaboration de cette pièce est une période de guerre, de misère pour le compositeur – car le régime, après l’avoir brièvement honoré, se montre méfiant et hostile – et de problèmes de santé pour Prokofiev qui souffre de plusieurs accidents cardiaques. C’est également à cette époque qu’il entame sa collaboration avec Sergueï Eisenstein en composant des musiques de film : (1938), Lermontov (1941), (1942), Tonia (1942), (1942) puis Ivan le Terrible (1944-1946). Enfin la sonate est contemporaine du Ballet Cendrillon.
La musique torturée de Prokofiev – et particulièrement cette sonate, l’une des œuvres les plus sombres de Prokofiev – ne convenait pas à l’optimisme qui était de mise à l’époque : le régime soviétique attendait de ses compositeurs qu’ils célèbrent le bonheur communiste.
Prokofiev lui-même décrit certains passages de cette sonate, confiés au violon, comme « le vent passant sur une tombe ». On dit que lors des répétitions de l’œuvre par Oistrakh et Oborin, Prokofiev demanda au pianiste de jouer plus fort. Celui-ci rétorquant qu’il craignait de couvrir le violon, Prokofiev répondit qu’il fallait jouer de manière agressive, de telle sorte que les auditeurs bondissent de leur fauteuil et se disent que le compositeur devait avoir perdu la raison…
1 en fa mineur :
On retrouve l’influence de Haendel – à qui Prokofiev déclarait avoir pensé en composant cette sonate – dans l’harmonie un peu archaïsante et la tranquille solennité du premier thème du 1 mouvement. Le violon ne fait son entrée qu’au 2ème thème. A noter les constants changements métriques (mesures à 3/4, 4/4, etc.) qui déstabilisent l’auditeur, ainsi que les doubles cordes au violon.
2 en ut majeur
Articulé autour de deux thèmes : le premier « marcatissimo e pesante » étonnamment agressif, et, contrebalancé par un second thème « fortissimo pesante », qui n’offre guère de perspective d’évasion…
3 en fa majeur :
Ce mouvement, avec de petits airs de pastorale, nous amène un peu de sérénité, dans une forme classique ABA.
4
Le thème principal de ce mouvement est épique et triomphal. Est-ce un signe d’optimisme, après la violence tourmentée du 2 mouvement ? Un second thème « poco più tranquillo », et légèrement lyrique, nous mène à un développement de grande ampleur où l’on retrouve les thèmes mélodiques et les motifs rythmiques des 2ème et 3 mouvements.
D’après Prokofiev, « le premier mouvement, , de caractère sévère, pourrait servir d’introduction largement développée au second, un Allegro fougueux et bouillonnant, mais qui a un deuxième thème longuement élaboré. Le troisième est lent, doux et tendre. Le finale est rapide et rythmiquement complexe. »
La sonate – composée entre 1938 et 1946, c’est-à-dire pendant les premières années de Prokofiev en URSS – reflète-elle la surprise et les états d’âme d’un homme déconcerté et malade, qui a dû se sentir trompé par un régime qui l’avait invité avec tant d’insistance, pour finalement le réduire à la misère et envoyer sa première épouse au goulag ?
XXX
Phantasy Quartet pour hautbois et cordes opus 2
Composée en 1932
Un seul mouvement articulé autour des tempi suivants :
Environ 13 minutes
En 1932, Britten, âgé de 19 ans, est élève au Royal College of Music. Il décide de présenter un concours, le Cobbett competition, qu’il ne remportera d’ailleurs pas. Ce concours est spécialisé dans les « phantasies », ancien mot anglais en usage aux 16 et 17ème siècles, pour « fantasia », pièce d’un seul tenant qui laisse au compositeur une grande liberté d’invention.
Dans cette œuvre, Britten combine deux structures qui peuvent paraître incompatibles : la « variation », qui relève de la forme même de la « fantaisie », et la forme « sonate » qui traduit l’admiration que le jeune Britten nourrit pour Beethoven et Brahms à cette époque.
Le thème principal, lyrique, est exposé au hautbois dans l’ initial, tandis qu’une marche quasi militaire est confiée aux cordes. Puis l’Allegro giusto expose et développe une forme sonate à trois thèmes. Après un retour à l’ initial et une brève récapitulation de l’Allegro de sonate, l’œuvre s’achève en reprenant le tempo de l’introduction : la même mélodie commence et termine l’œuvre. La musique, d’abord facile d’écoute, accélère et se complexifie, puis la reprise suit le mouvement inverse par rapport à l’introduction.
Dans cette pièce, quelques traits caractérisent déjà l’écriture de Britten : sur la base d’une solide tradition néo-classique, des recherches sonores, et toujours le souci de composer une musique immédiatement accessible à l’auditeur, même profane.
A travers le thème lyrique initial joué par le hautbois et contré par le rythme de marche militaire des cordes, on devine les revendications pacifiques si chères à Britten, à cette époque, hanté par la guerre.
Créée par le fameux hautboïste Leon Goossens avec des membres de l’International String Quartet, lors d’une audition publique radiodiffusée en août 1933 à Londres, cette pièce, à défaut de remporter le concours, lance le jeune compositeur et lui fait un nom dans la musique.
Si Britten s’est surtout illustré dans l’opéra et la musique vocale, il a composé très tôt de la musique de chambre – de la même année date la « Sinfonietta » pour orchestre de chambre – et il en composera toute sa vie, la réservant cependant à ses amis, sur le modèle des « schubertiades », comme si ce répertoire était une part de sa vie privée de compositeur.
XXX
W.A. MOZART
Sonate pour violon et piano n°42 en la majeur K. 526
Composée en 1787
3 mouvements : allegro – Andante – Presto
Environ 17 minutes
Si les sonates pour violon et piano de Mozart ne sont pas considérées comme ses œuvres les plus marquantes, force est de constater que, dans ce répertoire également, Mozart a fait montre d’une grande innovation. Lorsqu’il était enfant, la sonate pour violon et piano réduisait le violon à un rôle subalterne d’accompagnateur d’un piano soliste et virtuose (c’était souvent le professeur de piano qui prenait le violon pour accompagner et soutenir son élève au piano). Mozart, dans ses sonates, développe un dialogue incessant entre les deux instruments, requérant une égale virtuosité de chacun des deux solistes, et annonçant ainsi les grandes sonates romantiques à venir.
La sonate interprétée ce soir appartient au groupe des trois dernières sonates de la maturité – c’est même la toute dernière – qui auront une grande influence sur Beethoven.
Chef-d’œuvre absolu de l’histoire de la musique classique, cette sonate est créée le 24 août 1787 : Mozart vient de composer la et termine Don Giovanni qui sera créé en octobre. C’est peut-être à la douleur d’avoir perdu son père, en mai de la même année, que l’on doit la sublime sérénité du deuxième mouvement, le célébrissime .
: dès l’exposition, divisée entre les deux tonalités de la majeur et de majeur, la répartition entre les deux instruments est équilibrée et reste claire malgré le grand nombre de thèmes développés.
en ré majeur : ce mouvement sublime fait partie des plus belles pages de toute l’histoire de la musique classique ; l’écriture polyphonique, d’une sérénité sublime, se déploie dans un ample mouvement, très développé pour une forme classique, et ose des modulations assez hardies pour l’époque.
: débordant de vie et plein d’esprit, le refrain initial du Rondo est traité en contrepoint à 3 voix.
Sophie Flusin © Jeanine Roze production
En voir plus65 – 50 – 38 – 26 – 10 – 5 euros
THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES